Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance
Elle tenta plus tard, me raconta-t-on, de passer la Loire. Le passeur qu'elle
alla trouver, et dont sa belle-soeur, déjà en zone libre, lui
avait communiqué l'adresse, se trouva être absent. Elle n'insista
pas d'avantage et retourna à Paris. On lui conseilla de déménager,
de se cacher. Elle n'en fit rien. Elle pensait que son titre de veuve de guerre
lui éviterait tout ennui*. Elle fut prise dans une rafle avec sa soeur,
ma tante. Elle fut internée à Drancy le 23 janvier 1943, puis
déportée le 11 février suivant en direction d'Auschwitz.
Elle revit son pays natal avant de mourir. Elle mourut sans comprendre.
*Il existait effectivement un certain nombre de décrets français
cencés protéger certaines catégories de personnes : veuves
de guerre, vieillards, etc. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre comment
ma mère et tant d'autres ont pu un seul instant y croire.