Stephen King, Salem
Il s'assoupit en douceur, mais, avant de sombrer complètement, il se
surprit à réfléchir, comme il le faisait souvent d'ailleurs,
à l'étrangeté des adultes. Il fallait qu'ils prennent des
laxatifs, de l'alcool, des somnifères, pour échapper à
leurs angoisses et trouver le sommeil; et pourtant, comme leurs craintes étaient
ordinaires et faciles à maîtriser ! travail, argent; qu'est-ce
que la maîtresse va penser si je ne peux pas acheter des vêtements
neufs à Jennie ? est-ce que ma femme m'aime encore ? où sont mes
vrais amis ? Comme elles paraissent ternes à côté des terreurs
que chaque enfant retrouve le soir, dans l'obscurité de sa chambre, sans
espoir d'être compris de personne excepté d'un autre enfant !
Il n'y a pas de théorie de groupe, pas de cure psychanalitique, pas d'assistance sociale prévues pour le gosse qui doit, nuit après nuit, affronter seul la menace obscure de toutes ces choses qu'on ne voit pas mais qui sont là, prêtes à bondir, sous le lit, dans la cave, partout où l'oeil ne peut percer le noir. L'unique voie de salut, c'est la sclérose de l'imagination, autrement dit le passage à l'état adulte.
Mark se dit tout cela sans le formuler vraiment, dans une sorte de sténographie
mentale à la fois rapide et simple. La nuit précédente,
Matt Burke était confronté à l'horreur, et il en était
résulté une crise cardiaque; cette nuit, Mark avait subi une épreuve
semblable et, dix minutes après, il dormait paisibliment. Telle est la
différence entre l'homme et l'enfant ?